20 mars 2013

Parasitisme : Chap 2. Capitalisme chez les parasites, une question de coûts et de bénéfices.


            Dans l'épisode précédent [Parasites : Chap 1. Ils sont plusieurs dans leur tête ! ], Jack a été lâchement manipulé par Brenda, qui n' a pas hésité à le tuer sauvagement pour parvenir à ses fins. Nous avons aussi appris qu'elle n'en était pas à sa première victime et que peu d'entre elles avaient été de taille à lutter... Mais Simon (lire Saïmaune) s'est rebellé et au prix de sa vie il a permis au Sheriff du comté d'écrouer cette folle. Il est temps de la faire payer ! Voici la suite de notre téléfilm du printemps : 




La fable de la coccinelle et de la guêpe...

            Toutes les manipulations dont nous avons parlé la semaine dernière sont bien sympathiques, mais qu'est-ce que ça coûte au parasite ? En effet, il est bien beau de manipuler son hôte, cela a forcément un coût. Commençons par décrire brièvement le système qui va nous intéresser ici... Dinocampus coccinellae est une guêpe solitaire dont l'hôte principal n'est autre que la charmante coccinelle Coccinella maculata. Comme pour les hyménoptères dont nous avions discuté dans l'articlé précèdent, la guêpe pond un oeuf dans le corps de la coccinelle où il va se développer. Lorsque la larve s'est gavée des tissus internes de la coccinelle et qu'elle est prête pour sa métamorphose, elle s'extrait du corps de son hôte sans le tuer et se glisse entre ses pattes. Elle va y tisser un cocon, prenant les pattes du coléoptère au piège jusqu'à devenir adulte...
Cycle du parasite Dinocampus coccinellae.
Mais quel est l'intérêt de conserver un insecte sur son dos lorsqu'on est strictement incapable de se déplacer ? L'hypothèse la plus probable serait d'utiliser la coccinelle comme garde du corps pour se protéger d'éventuels prédateurs. La coccinelle va en effet rester sur la guêpe dans un état second, ne réagissant qu'a des stimuli extérieurs par des soubresauts désorganisés, en sécrétant une substance toxique part ses pattes et prévenant les prédateurs d'un éventuel danger par ses couleurs vives.

Et qu'est ce que ça coûte tout ça ? Maintenir en vie une coccinelle pendant une dizaine de jour sans que celle-ci ne puisse s'alimenter et surtout lui laisser retrouver une capacité motrice voir reproductive une fois la guêpe émergée relève de l'exploit. D'autant plus que le parasite est à l'extérieur de son hôte pendant la manipulation. 



Manipuler : une affaire d'équilibre. 



Tout est trade-off :
"Depuis que je marche debout,
je ne peux plus me lécher les orteils ..."






Comme pour tout le reste dans le vivant, pour être sélectionnée au fil des générations la manipulation doit engendrer des bénéfices. Mais un bénéfice arrive rarement seul et provoque aussi des coûts. Cette notion très importante que nous touchons du doigt ici est la notion de compromis entre traits d'histoire de vie (pour parler dans la langue de Molière, de "trade-off") : l'énergie dépensée pour une fonction ne pourra être investie dans d'autres. En général deux  types de coûts s'imposent à un individu et il faut "choisir" celui pour lequel on va payer le plus cher : les coûts associés à la vie dans son milieu (résistance au froid, à un prédateur ou, pour un parasite, au système immunitaire de son hôte) ou ceux associés à la physiologie propre de l'individu (croissance, reproduction, manipulation). Ces compromis sont donc une des limites les plus importantes à "l'optimisation" d'un trait dans la nature par sélection naturelle : il est rarement possible d'optimiser un paramètre sans en impacter un autre. En effet, beaucoup de fonctions sont liées entre elles dans un organisme soit directement via la pléiotropie (les mêmes gènes contrôlent plusieurs fonctions, parfois opposées) ou indirectement via des liens énergétiques ou hormonaux.

Notre parasite ne devrait donc pas échapper à la règle et l'énergie allouée à la manipulation (production de toxine paralysante, maintient de la coccinelle en vie pendant un certain temps, survie dans le corps de l'hôte avant égression) devrait impacter la guêpe. F. Maure s'est posée plusieurs questions sur le sujet et a notamment pu démontrer l'importance de la manipulation (a) en comparant la survie du cocon face à un prédateur dans différentes conditions (cocon seul, coccinelle morte et coccinelle manipulée) et  l'existence de tels compromis, notamment entre fécondité et la survie en jour de la coccinelle (b).  

(a) Survie des cocons en fonction de la prédation (cocon seul, coccinelle morte, coccinelle vivante). (b) Survie en jour de la coccinelle en fonction de la fécondité de la guêpe.


La manipulation est donc coûteuse pour la guêpe et n'est pas simplement un sous produit de l'infection. Même si elle doit consommer une partie des ressources de la coccinelle pour grandir, elle doit tout de même lui en laisser suffisamment pour qu'elle survive durant la manipulation. La suite coule de source, le parasite ne peut pas à la fois maximiser sa croissance et la survie de son hôte et doit faire des choix dans l'allocution de ses ressources, sa survie étant primordiale ici. 
 Lire : F. Maure et al. (2011) : The cost of a bodyguard, Biology Letters.


          Remarquons cependant deux choses. L'apparition d'un tel comportement de manipulation ne s'est pas fait du jour au lendemain. Il existe une histoire évolutive derrière tout ça et lors de la première infection de type garde du corps que notre planète terre ai vu naître, il est possible que les toxines à l'origine de la manipulation n'ai été que le résultat fortuit d'une autre fonction, détournée par la suite. C'est le cas par exemple des plumes, qui bien qu'elles soient indispensable au vol des oiseaux, avaient un rôle initial de thermorégulation. Peu à peu, des variants de cette fonction apparaissent, pouvant donner un nouvel avantage à des individus qui se reproduiront plus et s'imposeront. Une deuxième hypothèse est que l'ancêtre de la guêpe soit déjà une guêpe manipulatrice et qu'une manipulation, se perfectionnant (suivant les compromis) donne la manipulation telle qu'on la voit à ce jour.

Par ailleurs, nous sommes ici en présence d'un rare cas de parasitoide ne tuant pas son hôte à la fin de la manipulation. Il lui laisserai parfois même la capacité de se reproduire et donc potentiellement de transmettre à ses descendants une capacité de tolérance. Ces individus tolérants rentreraient en compétition avec des individus résistants et la tolérance pourrait même être renforcée par une augmentation du parasitisme au fur et à mesure qu'elle s'installe dans la population.




L'autostoppeur kamikaze : encore un coup de la mafia.

            Vous l'aurez compris, le monde tourne autour de coûts et de bénéfices. Comment faire donc, dans cette société capitaliste pour réduire les coûts de la manipulation au maximum afin de maximiser sa reproduction ? Plusieurs solutions ont été trouvé et, encore une fois, dans son système socio-econo-politique, l'homme n'a rien inventé.

Fourmi parasitée par la petite douve du foie :
lorsque le soleil se couche, les zombis sortent de la fourmilière...

La première d'entre elle peut se résumer avec l'exemple de parasites pondant plusieurs larves dans l'hôte. Plutôt que l'ensemble des juvéniles ne s'attachent à manipuler l'hôte (ou son système immunitaire) et perdent leur précieuse énergie dans cette fonction, seul un ou deux d'entre eux vont le faire pour toute la cohorte. C'est le cas de la petite douve du foie chez qui un seul des parasites va migrer en direction d'un ganglion situé entre l’œsophage et le collier périœsophagien de l'hôte fourmi, s'exposer au système immunitaire puis payer le coût de la manipulation pour ses congénères. Le coût est certes extrêmement fort pour cet individu kamikaze qui se suicide pour la fratrie. Le comportement ne reste pas moins sélectionné puisque l'ensemble de ses frères survivent et transmettent ce comportement. Reste à régler la question du choix de l'individu kamikaze et aucune réponse n'est encore connue à ce jour. L'hypothèse la plus vraisemblable reste probablement une partie de poker.



Un autre exemple moins impressionnant mais tout de même malin est celui des parasites dit auto-stoppeurs. Pas besoin de faire un dessin : pourquoi manipuler l'hôte ou son système immunitaire et perdre son énergie à le faire quant un autre parasite peut le faire pour vous ? Le trématode Maritrema subdolum a besoin d'être transmis à des oiseaux aquatiques après avoir infectés des gammares. Il a été démontré que ce parasite préférait choisir des individus déjà infectés par un autre parasite (Microphallus papillorobustus) induisant une modification comportementale de l'hôte qui favorise la transmission vers un tel oiseau. Profitant de ce système déjà tout prêt, l'auto-stoppeur n'a pas à dépenser son énergie pour manipuler et peut la consacrer à se reproduire sur la banquette arrière. Attention, n'allons pas croire que l'ensemble des coûts est réduits ici. Même si la manipulation n'est plus à faire dans ce cas, le parasite doit toujours se protéger du système immunitaire de l'hôte et d'une éventuelle compétition pour les ressources avec l'autre parasite. Par ailleurs pour que la manipulation puisse avoir lieu, il doit aussi s'assurer de ne tuer ni l'autre parasite ni l'hôte en consommant trop de ressources. Bref, encore une histoire de compromis...
Lire : ANIMAL BEHAVIOUR, 1998 : Exploitation of manipulators: ‘hitch-hiking’ as a parasite transmission strategy by FREDERIC THOMAS, FRANCOIS RENAUD & ROBERT POULIN.













"Guess what : I'm your father"


















Un dernier exemple de réduction de coûts pour un parasite est celui du coucou. Ce charmant petit oiseau, enivrant vos promenades du dimanche de son chant mélodieux est en fait un baron de la mafia. Son but ultime ? Eviter les coûts associés à la reproduction : à l'instar d'un entrepreneur riche voulant réduire les coûts de production ou d'une famille pauvre se débarrassant de ses enfants en les envoyant au couvent, la femelle du coucou va déposer ses oeufs dans le nid d'autres oiseaux pour s'éviter la corvée de l'élevage. Ainsi, libre des coûts associés au nourrissage et à la protection des petits il pourra augmenter la taille de sa ponte annuelle et s'alimenter plus facilement. Seulement voilà, la pie bavarde (le principal hôte) n'est pas dupe, et si elle se rend compte de la supercherie (ce qui est rendu difficile par un mimétisme des œufs) elle n'aura aucun scrupule à balancer l’œuf intrus par dessus bord. Pour éviter que cela n'arrive, le coucou a mis en place une technique efficace : il sélectionne un comportement coopérateur chez son hôte et imposant un coût en terme de survie et de reproduction à ce dernier en cas de désobéissance. En effet, la femelle coucou va déposer des œufs dans les nids de plusieurs pies puis, venir vérifier que le rejeton est bien entretenu. Si la pie a eu le malheur de balancer le jeune coucou dans le vide, la mère va venir sanctionner cette désobéissance en supprimant la lignée de tels parents. Ainsi, la fréquence des parents récalcitrant diminue dans la population au cours du temps à l'avantage du coucou. Cette technique n'est pas sans rappeler la domestication de toutes les espèces animales par l'homme, qui a lui même sélectionné des individus peu agressifs (auroch vs vache, chien vs loup, poulet vs dinosaure ...).
Lire : Soler M. (1999). "Genetic and geographic variation in rejection behavior of cuckoo eggs by European magpie populations: an experimental test of rejecter-gene flow". dans Evolution.



Mais encore ....
   
         A ce stade, vous devriez commencer à vous alarmer sérieusement... Ca manipule dans tout le vivant, ça modifie le comportement, ça oriente l'évolution des hôtes... et pourquoi pas... MOI !? La réponse au prochain épisode.

2 commentaires: